Les négociations avec la famille Melonangol avaient duré une bonne partie de l'après-midi. Chacun était retourné vaquer à ses occupations et les cinq compagnons en s'étaient quelques peu dispersé sur les quais : Aldéir flânait sur les quais, observant les différents articles qui se vendaient, en quête d'opportunités commerciales qu'il pourrait saisir pour sa famille. Pater s'était trouvé un petit coin isolé où il s'était installé à même le sol, communiant en silence avec les forces primordiales qui lui étaient si cher. Ginger grattait distraitement les cordes de son luth pour les quelques badauds qui passaient, réfléchissant à sa prochaine composition. Akan, aidée de l'habile Gurda, avait décidé de réparer la chemise de maille qu'il avait trouvé sur le corps de la prêtresse, dans le tombeau de Magnus. Elle avait été abimé par les coups de griffes et la terrible morsure de Pater mais la naine avait fait des merveilles. Elle était parvenu à retaper la chemise, redressant avec précision les mailles les plus tordues et remplaçant celles qu'il étaient impossibles de sauver. Une fois son œuvre terminée, elle avait ensuite aidé Akan à enfiler la pièce d'armure et en avait profité pour l'ajuster à sa morphologie. Le résultat était stupéfiant.
Ils se retrouvèrent comme convenu à proximité de la large péniche d'Enialis Melonangol, alors que la foule se rassemblait sur les quais pour saluer le départ du roi. Celui-ci ne tarda effectivement pas à passer la coupée, suivie de dame Sigrid et de quelques chevaliers. Il salua l'assemblée et continua son chemin pour rejoindre le palais. Son expression était difficile à déchiffrer, comme celle de tout bon politicien, mais Aldéir ne fut pas dupe. Les négociations avaient été un succès.
Enialis fit alors un petit signe discret à l'attention d'Aldéir. Celui-ci en informa ses compagnons et s'approcha du commerçant.
« Seigneur Verteflammes ! commença celui-ci. Je suis heureux de vous voir ici. Je voulais justement vous inviter, vous et vos compagnons à dîner en ma compagnie. Seriez-vous disposés à vous joindre à moi ce soir ?
- Avec plaisir maître marchand, répondit l'intéressé avec grâce.
- Je vous en prie, appelez-moi Enialis. Je vous propose donc de nous retrouver ici même à dix-huit heure. Ceci vous conviendrait-il ?
- Parfaitement, répondit Aldéir, après avoir échangé un regard avec ses amis.
- À tout à l'heure alors, conclut Enialis en inclinant la tête en signe de respect. »
Il retourna ensuite sur son navire et disparut dans la cale.
« Pourquoi souhaite-t-il manger avec nous ? demanda Akan, curieux. Tu as des relations particulières avec sa famille ?
- Pas vraiment non, répondit Aldéir. Ma famille a déjà eu affaire aux Melonangol par le passé mais cela n'a rien d'étonnant. La maison Melonangol fait partie des grandes familles marchandes elfiques. C'est d'ailleurs leur talent de commerçants qui ont bâti leur influence aux sein de la noblesse elfe, étant eux-mêmes assez éloigné du trône dans l'ordre de succession.
- Je vois. J'imagine que la raison de cette invitation se révélera d'elle même ce soir.
- Bon, quand vous aurez fini de parler de ce genre de truc, intervint Gurda, on pourra peut-être s'intéresser à la vraie question. On mange bien chez les elfes ? Parce que je vous préviens d'avance, après ce fichu tombeau, je pourrai manger dix ours ! »
Tous éclatèrent de rire devant la remarque de la naine, ce qui ne lui plut que très moyennement. Ils continuèrent de discuter quelques temps, principalement en se moquant de Gurda, avant de se séparer dans la bonne humeur.
***
Le soleil bas se reflétait sur les eaux calme de l'estuaire lorsque les cinq amis se retrouvèrent sur les quais. Enialis les attendait sur le pont de sa péniche, un joli sourire au lèvres.
« Bienvenu, chers amis. Merci encore d'avoir accepté mon invitation.
- Tout le plaisir est pour nous, répondit Aldéir.
- Je vous en prie, montez à bord et suivez moi. Je vais vous mener à ma cabine. »
Ils empruntèrent la coupée et suivirent leur hôte. Celui-ci leur fit traverser le pont et les mena jusqu'à une jolie porte ouvragée en bois, qui s'ouvrait sur une large pièce décorée avec goût. Les murs étaient couverts de tentures colorées qui rendait la cabine plutôt chaleureuse et quelques tableaux représentants de magnifiques paysages verdoyants terminait d'égayer la pièce.
Une grande table, dont les pieds étaient solidement encordés à des anneaux d'acier qui dépassait du plancher, trônait en son centre et avait visiblement été préparé avec soin à leur attention : des assiettes de porcelaines avaient été apprêtée devant de larges sièges confortables, l'argenterie brillait de mille feux sur la nappe de lin brodée de fil d'or et des corbeilles de pains, ainsi que, quelques hors d'œuvre délicat était élégamment disposée sur toute la longueur de la tablée.
Enialis, s'approcha de l'un des sièges sur lequel se trouvait plusieurs coussins et le tira en arrière avant d'inviter Gurda à prendre place. Celle-ci s'y installa, quelque peu déstabilisée par les manières courtoises de l'elfe, et réalisa que la hauteur des coussins avaient été parfaitement ajustée à sa petite taille. Enialis lui tendit ensuite une serviette en lin sur lequel était brodée un hêtre, symbole du clan de Gurda. Celle-ci le remercia et la posa sur ses genoux.
Enialis fit ensuite de même avec Ginger qui le remercia d'un grand sourire en découvrant l'écureuil brodée sur sa propre serviette.
« Je vous en prie, prenez place. » dit-il avant d'aller se placer derrière l'un des sièges.
Aldéir savait quoi chercher, aussi fit-il un petit signe de tête à ses deux compagnons en direction des assiettes.
Dans l'une d'entre elle reposait une branche de rameau, symbole sacré pour les druides. Akan remarqua ensuite trois pierres triangulaires d'un joli bleu dont la texture lui rappelait celle de ses propres écailles, posés dans une autre des assiettes. Aldéir s'installa dans le siège restant dans devant lequel se trouvait un petit bâtonnet recouvert d'une étrange poudre verte. Enialis fit un petit signe à l'un des serviteur qui attendait dans une coin de la pièce et celui-ci s'approcha du rôdeur et enflamma le bâtonnet qui produit une joli flamme verte rappelant celle qu'Aldéir évoquait parfois sur ses armes. Celui-ci s'éteignit de lui même après quelques instants et fut emmené par le serviteur qui prit même la peine de changer l'assiette d'Aldéir.
Lorsque tous furent installé, Enialis leva son verre vide et s'exclama « Trinquons ! », tandis que les serviteurs s'activaient en silence autour des convives pour remplir leurs coupes.
« Puisse notre coupe toujours être pleine et abondante en ces temps troublés ! dit le marchand.
- Et puisse vos voyages vous sourire et vos affaires être prospère ! répondit Aldéir.
- A notre rencontre ! dit Akan
- Santé ! conclut Gurda avant de vider sa coupe d'un trait. »
Le reste des convives ne tarda pas à suivre son exemple, préférant néanmoins savourer le vin par petite gorgées, à la différence de la naine. C'était un vin rouge étonnamment doux dons lequel avait été rajouté des épices et du miel, lui donnant un goût sucré et raffiné. Aldéir reconnut là les vins elfiques réservés aux hôtes de marques lors des réceptions officielles.
« Merci pour cet excellent vin, dit Aldéir. Je dois dire qu'il est toujours agréable pour moi de retrouver les saveurs de notre doux foyer.
- Je suis ravi que cela vous plaise, lui répondit Enialis Ne connaissant pas vos goûts, j'ai pris l'initiative de faire préparer des mets simples pour la suite du repas. »
Alors qu'il parlait, des serviteurs apportait différents plats et les disposaient sur la table : des fines tranches de ce qui semblaient être du bœuf, du pain elfique aux herbes, des légumes en tous genres …
Ils commencèrent à manger et réalisèrent rapidement que seul le pain était vraiment nourrissant. Le reste des mets, bien qu'extrêmement savoureux, étaient servies en trop petite quantité pour véritablement assouvir leur faim.
« Si cela n'est pas indiscret, commença Akan, qu'avez-vous penser des négociations de cette après-midi ?
- Tout s'est déroulé sans encombre. Nous devrions commencer à nous installer très bientôt, même si il nous faudra plusieurs semaines effectuer les différents trajets entre la cité et notre actuelle résidence, par delà l'estuaire. Bien entendu, tout cela suppose que les gnolls qui menacent la cité ne reste pas un problème trop longtemps, même si je n'ai aucun doute qu'entre votre aide et le départ en guerre décidé par le conseil, le problème soit vite réglé.
- Pourquoi vouloir vous installer ici ? demanda Ginger avec curiosité.
- Je ne suis qu'un représentant de ma maison, je n'ai pas été consulté pour cette décision, aussi n'ai-je malheureusement pas de réponse à vous apporter, sinon de vous dire que les anciens l'ont décidé.
- Les anciens ? continua Ginger.
- Les membres les plus âgé de notre famille. Ce sont eux qui prennent toutes les décisions concernant l'avenir de la maison.
- Je comprends.
- Les plats ne vous plaisent pas ? Souhaitez-vous que je vous fasse préparer autre chose ? demanda Enialis en remarquant que Ginger ne touchait pas à la viande.
- Tout va très bien, répondit la gnome en souriant. Je suis simplement végétarienne. Mais ne vous en faîtes pas pour moi.
- Peut-être souhaitez-vous plus de pain ?
- Non vraiment, je vous remercie.
- Très bien, dit-il en faisant un signe de la main en direction de l'un des serviteurs qui s'empressa de sortir de la pièce avec le reste du personnel de bord. Je vais être honnête avec vous, je ne vous ai pas invité uniquement pour le plaisir de votre compagnie. Je me trouve dans une situation délicate et j'aurai besoin de votre aide.
- Allez-y, l'enjoint Akan aimablement. Expliquez nous ce qui vous préoccupe.
- Comme vous le savez, je suis venu ici pour les négociation avec le roi Kirk. Un bateau chargé d'étoffes précieuse était censé arriver il y a deux semaines pour me permettre de présenter mes produits aux notables de la ville mais celui-ci n'est jamais arrivé. Lorsque les anciens de ma famille ont été mis au courant de la situation, ils ont jugé que c'était une perte malencontreuse mais que l'on ne pouvait rien faire pour y remédier. Après tout, il suffit d'une méchante tempête pour qu'un bateau disparaisse en mer. Un second navire, transportant des bijoux que je devais offrir au roi et sa cour à été envoyé un peu plus tard mais n'est pas non plus arriver à bon port. Il devait accoster à la cité il y a cinq jours. Une fois encore, les anciens ont jugé qu'il n'y avait pas matière à s'alarmer, alors même que j'ai surpris l'un des dockers de la ville avec des bijoux elfes semblables à ceux que je devais réceptionner. J'attendais ce midi l'arrivée d'un troisième navire, à bord duquel voyageait ma promise. Même si j'ai reçu l'ordre de ne rien tenter pour retrouver les navires disparus, je ne puis me résoudre à rester sans rien faire alors que ma bien aimée est en danger. Aussi vous ais-je convié ce soir pour vous demander votre aide pour la retrouver, même si cela signifie désobéir aux ordres de ma propre maison. Nous sommes épris l'un de l'autre depuis plus de cinquante ans maintenant et elle est ce que j'ai de plus précieux au monde.
- Je comprends votre chagrin mais avez-vous envisagé la possibilité qu'elle soit ... ? risqua Akan, gêné.
- Elle est en vie, dit il avec conviction en sortant un pendentif de sous sa chemise. Lorsque nous avons prononcé nos vœux, nous avons aussi échangé des médaillons pour symboliser notre amour éternel. Ils nous permettent de communiquer une fois par jour l'un avec l'autre et d'avoir une idée de la distance qui nous sépare. Si elle était morte, je l'aurai ressenti.
- Vous avez pu parler avec elle ? demanda Akan.
- Je crains que non. Cela fait trois jours que je n'arrive pas à la contacter malgré toutes mes tentatives. Je crains qu'elle ne soit trop faible pour utiliser son propre médaillon. Je sais que c'est beaucoup vous demander mais j'ai un bateau prêt à appareiller et j'espérais que vous accepteriez d'embarquer à son bord pour aller la chercher. Si l'un d'entre vous passe une nuit avec le médaillon, il sera capable de s'orienter vers l'autre morceau. »
Le pendentif représentait un élégant croissant de lune et luisait doucement et régulièrement d'une joli éclat bleuté, comme sous l'action d'un invisible battement.
« Comment cela fonctionne-t-il ? demanda Pater avec curiosité.
- Les deux pendentifs sont liés l'un avec l'autre. Lorsque l'on est accordée avec l'un d'entre eux, il est possible de savoir si l'on s'est rapproché ou éloigné de l'autre moitié depuis la dernière tentative de contact.
- Dans ce cas, il faut nous orienter sur la bonne route, sans quoi nous risquons d'arriver trop tard, répondit Aldéir avec pragmatisme.
- Je suis d'accord. Le plus logique serait de prendre la route permettant de rejoindre notre foyer. Après tout, c'est le chemin que devait emprunter son bateau.
- Vous connaissez la route ? demanda Aldéir.
- Oui bien sûr. Deux de mes meilleurs navigateurs sont dors et déjà prêt à partir avec vous.
- Vous leur faite confiance ? intervint Ginger.
- Ils font partie de mon équipage, répondit-il comme si cela suffisait à lever tout soupçons. »
Un silence pesant s'installa à la table, bientôt brisé par Enialis :
« Comment puis-je vous convaincre de m'aider ?
- Vous m'avez déjà convaincu, répondit Akan.
- Par les dieux, je ne sais comment vous remercier, s'exclama-t-il avec émotion.
- Pouvez-vous nous donner plus de détails sur votre bien aimée ? demanda calmement Aldéir.
- Bien entendu. Elle se nomme Ahuor Neldyrcyll. Elle à de long cheveux blonds comme les blés et aussi doux que du satin. Sa couleur est le rouge, je ne crois pas l'avoir jamais vu porter d'autre teintes. Son visage angélique est aussi lisse que du verre et ses yeux sont d'un vert profond et presque brillant, comme le cœur d'une émeraude. Elle appartient à une très ancienne famille elfe, peut-être même plus ancienne que la vôtre, seigneur Verteflammes, et arbore donc les oreilles de nos illustres ancêtres, plus longue et plus fines que les nôtres.
- Je pense que j'ai déjà entendu ce nom, dit Ginger. Il signifie bien aube rouge, non ? Ce n'est pas le nom de cette maison elfe qui a décidé d'abandonner la magie il y a très longtemps ?
- En effet, mais je dois dire que je ne pense pas avoir déjà entendu parler des Neldyrcyll, répondit Aldéir.
- Je crains de ne pas avoir votre érudition, maître barde. Tout ce que je sais c'est qu'Ahuor n'est pas versée dans l'étude des arcanes. C'est surtout à travers les arts qu'elle s'épanouit pleinement même si elle ne peut probablement rivaliser avec votre talent. Fort heureusement, elle en possède beaucoup d'autres, ajouta-t-il avec un sourire, perdu dans ses pensées. »
Lorsqu'il émergea de ses rêveries, il reprit un air grave et retira la fine chaîne d'argent auquel était accrochée le pendentif et le tendit à Aldéir.
« Ce pendentif est mon bien le plus précieux a ce jour. Je vous le confie.
- Je tâcherai d'en prendre soin, dit-il avant de le passer autour de son cou. »
Il sentit comme une légère chaleur l'envahir qui s'évanouit presqu'aussitôt. Il éprouvait seulement une petite gêne, dans sa poitrine, comme si quelque chose venait de s'y loger. Il avait encore du mal à appréhender la nature de cette sensation mais il s'y attendait. Il avait déjà entendu parler des pendentifs des amants. Ces objets étaient plutôt courant parmi les membres de son peuple et, bien que ce fut le premier qu'il ai eut le loisir de porter, il connaissait les effets de celui-ci. D'ici le lendemain, il serait capable de sentir cette présence avec plus de facilité et il pourrait alors essayer de la contacter en utilisant le mot de pouvoir qui se révèlerait à lui lorsqu'il serait prêt.
« Nous ferons tout notre possible pour vous ramener Dame Neldyrcyll, reprit le rôdeur elfe.
- Merci, répondit celui-ci la voix vibrante d'émotions. Si vous n'avez pas d'autres questions, je suggère que vous partiez au plus vite. Un départ à la faveur de la nuit permettra de ne pas attirer l'attention et d'éviter les regards indiscrets des dockers. Votre navire vous attends dehors.
- Allons-y dans ce cas, répondit Akan en se levant. Plus vite nous serons parti, plus vite nous pourrons nous mettre à sa recherche. »
Enialis les mena sur le pont et les emmena jusqu'à un petit deux mâts, gréés en goélette, et sur lequel deux elfes attendaient en discutant. Lorsque ceux-ci virent Enialis arriver avec le groupe d'aventurier, il déployèrent une coupée puis s'empressèrent de détacher les aussières du ponton et de les rapatrier à bord. En moins de cinq minutes, le navire avait appareillé et fendait les flots du calme estuaire, s'éloignant rapidement de la Cité des Trois Couronnes.
***
Cela faisait un peu plus de trois heures qu'ils naviguaient et la cité n'était plus visible depuis longtemps. Il avançaient à bonne allure sur une mer calme, poussé par les des vents favorables, filant plein Est dans la vive clarté d'une nuit de pleine lune sans nuage.
Le navire, qui ne nécessitait que deux marins pour la manœuvre, était spacieux. Il s'étendait sur deux ponts : le pont supérieur, propre et bien entretenue sur lequel se dressait le grand mât et le mât de misaine, ainsi qu'une large cale chargée d'étoffes et de tissus précieux que l'on apercevait à travers la large écoutille centrale. À la différence des navires que les aventuriers avaient pu voir sur les quais, celui-ci possédaient une roue de gouvernail placée à la proue, sur la gaillard d'avant. Les quartiers de l'équipage, ainsi que ceux attribués aux cinq aventuriers, se trouvaient quant à eux au niveau du gaillard d'arrière. Ginger et Gurda avait décidé de partager une chambre, tout comme Akan et Pater, tandis qu'Aldéir s'était installé seul dans la cabine restante.
Lorsque tous eurent pris possession de leur quartiers, ils se retrouvèrent sur le pont, prenant le temps d'apprécier le calme de la haute mer. Aldéir s'approcha des deux marins, posté près du gouvernail.
« Salutations. Je ne crois pas m'être présenté. Je suis Aldéir de la maison Verteflammes.
- Enchanté seigneur Verteflammes, répondit l'un des deux elfes, tandis que l'autre, concentré sur la navigation, le gratifiait d'un mouvement de tête respectueux. Pardonnez mon camarade, il n'est pas très loquace et c'est encore plus vrai lorsqu'il est concentré.
- Ce n'est pas un problème. Je suis d'ailleurs étonné que vous puissiez manœuvrer seul un tel vaisseau. Vous êtes sûr que vous n'avez pas besoin d'aide ?
- J'apprécie votre proposition mais par cette mer, nous pourrons nous en charger sans problème.
- Sans vouloir remettre en cause vos capacités, reprit Aldéir, vous allez tout de même devoir vous reposer au cours de la traversée.
- Bien entendu, répondit le marin en riant. Nous allons nous relayer, ne vous en faîtes pas. Je viens justement de terminer une courte transe.
- Très bien, répondit Aldéir. Je vous laisse alors.
- Bonne nuit seigneur Verteflammes. Nous serons ici demain matin pour prendre les nouvelles directions.
- C'est à dire ? demanda Aldéir.
- Le capitaine Melonangol nous à prévenu que vous nous donneriez de nouvelles instructions de cap demain matin. En attendant, nous faisons route vers l'est.
- Ah oui bien sûr. À demain matin alors. »
Aldéir s'éloigna et retourna avec le reste de ses compagnons qui discutaient sur le pont.
« Aldéir ! Te voilà ! s'écria Ginger avec entrain. Pourrais tu me montrer ce fameux pendentif ? Pater et moi mourrons d'envie de l'étudier un peu plus en détails !
- Oui bien sûr, répondit celui-ci avec un sourire amusé. »
Il sortit la fine chaîne de sous son armure et la donne à Ginger. Le médaillon pulsait toujours avec régularité entre les mains de Ginger qui l'observait sous toute les coutures avec attention, Pater penché sur son épaule. Elle ne mit pas longtemps à découvrir des petites aspérités dans le pendentif, signe que celui-ci était incomplet. Elle estima que la seconde moitié devait se placer au creux du croissant de lune et devait probablement être sphérique et de plus petite taille. Elle ferma les yeux et concentra une partie de son pouvoir sur ceux-ci. Lorsqu'elle les rouvrit, ses pupilles avaient été remplacé par un petit cercle coloré, parcouru de symbole complexe. Akan eut un mouvement de surprise :
« Qu'est ce que tu fais ? demanda le drakéide.
- J'ai lancé le sort de détection de la magie, répondit-elle avec un sourire.
- N'est-ce pas ce que tu as fait dans le mausolée de Magnus ?
- Si mais je n'avais pas envie de perdre du temps à faire le rituel complet, expliqua-t-elle. Du coup j'ai fait plus simple, c'est plus fatiguant mais c'est aussi efficace, rajouta-t-elle avant de s'intéresser à nouveau au médaillon. C'est bien magique en tout cas des traditions d'évocation et d'enchantement ce qui correspond à ce que nous a dit Enialis.
- Effectivement approuva Pater. Regarde ici, ajouta-t-il en montrant une fine gravure au centre du croissant de lune. C'est un symbole magique mais je ne crois pas l'avoir déjà vu.
- Oui en effet, répondit Ginger en inspectant le symbole. Je dois dire que moi non plus. C'est peut-être une rune pour canaliser le pouvoir dans un objet. Je ne suis pas vraiment experte en ce qui concerne l'enchantement d'objets.
- Je peux le reprendre ? demanda Aldéir en tendant la main.
- Oui bien sûr, lui répondit la gnome avec un sourire en lui remettant le pendentif.
- Merci. Je pense que je vais aller me reposer à présent. Je vous souhaite à tous une bonne nuit, termina Aldéir avec un petit signe de la main. »
Aldéir s'isola donc dans sa cabine et entreprit de mettre à jour son journal. Le rôdeur avait en effet une véritable passion pour la cartographie et n'avait pas eu le temps de consigner les résultats de ses derniers voyages. Il se munit donc ses encres et sa plume et commença à compléter la carte des endroits qu'il avait visité. Il étendit tout d'abord la mystérieuse forêt vers l'est et le sud et y indiqua avec précision les positions de la caverne aux pierres gravés et de la petite communauté qui vivait à proximité. Il dut prendre quelques instants pour se calmer en repensant au massacre perpétré par les gnolls pendant la fête de la caverne. Lorsqu'il fut de nouveau maître de ses émotions, il reprit son travail. Il ajouta la grande route qui traversait la forêt en direction du nord, l'auberge du Lac de Tourbe et le village gnome, aujourd'hui détruit, à quelques lieues vers l'ouest. Il dessina ensuite la zone du Lac de Tourbe, encore plus à l'ouest, à l'aide d'encres plus sombre pour faire ressortir la désagréable ambiance de cette partie de la forêt. Enfin, il termina en ajoutant la Cité des Trois Couronnes, au nord de la forêt et au pied de la grande chaîne de montagnes. Il fit également figurer les quelques quartiers qu'il avait pu traverser : le quartier des sages, celui des nobles, le quartier du temple de la lumière, les quais et la chambre du Conseil. Lorsqu'il fut satisfait, il rangea avec soin son matériel et s'installa dans un des deux lits de la pièce. Il ferma les yeux et laissa son esprit dériver, en transe.
Akan et Gurda ne tardèrent pas non plus à aller se coucher, bientôt suivi par Pater qui s'était d'abord assuré que personne ne les suivaient. Ginger veilla un peu plus longtemps, observant les deux marins à l'œuvre. Le vent était régulier et gonflait les voiles sans que celles-ci ai besoin d'être manipulées. Lorsque celui-ci se mit à souffler plus fort, l'un des deux elfes déploya deux voiles supplémentaires toutes deux fixées entre la proue et le mât de misaine, ce qui eut pour conséquence immédiate d'augmenter leur vitesse et de provoquer un désagréable mouvement de tangage. L'autre marin modifia alors très légèrement le cap, plaçant le vent non plus à l'arrière du bateau mais très légèrement de travers. Le navire se stabilisa alors et gagna encore en vitesse. Les marins satisfait, reprirent leur discussion et Ginger décida d'aller se coucher elle aussi.
***
Aldéir s'éveilla le premier, alors que le soleil commençait à peine à poindre à l'horizon.
Il ferma les yeux et procéda à un examen intérieur de sa personne, entrant en communion avec les puissances naturelles. Il ne mit qu'un instant à percevoir le changement qui l'avait sorti de sa transe : il s'était accordé au pendentif des amants.
Il percevait distinctement une présence étrangère nichée au creux de sa poitrine, qui diffusait une douce chaleur. La sensation bien qu'agréable, gênait Aldéir qui savait que l'amour qu'il ressentait palpiter en lui ne lui était pas destiné. Il se sentait comme un intrus dans son propre corps.
Il rouvrit les yeux et observa le pendentif. Ces yeux se posèrent naturellement sur la fine gravure magique, comme si celle-ci l'appelait intérieurement. Il n'eut aucun mal à la déchiffrer, la traduction s'imposant immédiatement à son esprit.
« Ummil, dit-il d'une voix faible tandis que l'inscription disparaissait du pendentif. »
Il eut alors l'impression d'être attiré à grande vitesse en direction du nord-ouest, alors même que son corps restait immobile. Son esprit restait ancré en lui mais il pouvait sentir presque physiquement la force qui l'appelait. il avait d'ailleurs l'impression que celle-ci perdait en intensité de manière à peine perceptible. Soudain, le symbole réapparu sur le pendentif et la sensation disparut aussi vite qu'elle s'était imposé à lui.
Il se leva d'un bond et s'empressa d'aller trouver les marins, toujours sur le gaillard d'avant. L'un deux se reposait, adossé contre le bastingage, visiblement en transe. Le second était à la barre, les yeux rivées sur l'horizon. Aldéir les salua en elfique.
« Salutation maîtres navigateurs !
- Bonjour Seigneur Verteflammes. La nuit vous fut-elle agréable ?
- Très, merci de vous en soucier.
- Je vous en prie, répondit le marin en souriant. Devons nous garder ce cap ?
- Un instant, je vous prie, dit-il au marin avant de rajouter, à demi mots, Ummil. »
Il sentit à nouveau pression s'exercer sur son esprit. Il était à présent certain que celle-ci avait quelque peu diminuée en intensité, signe qu'il se rapprochait de l'autre partie du pendentif. Il était en revanche plus préoccupé de sentir la chaleureuse présence qui avait investi sa poitrine perdre aussi en force. Il la sentait toujours distinctement mais il ne faisait aucun doute qu'elle s'affaiblissait.
« Il faudrait l'ajuster de quelques degrés vers le nord, dit-il lorsque les effets du pendentifs se furent dissipés.
- Quelques degrés au nord. Je m'en occupe. »
Le marin retira le cordage qui bloquait la roue de gouvernail, la fit légèrement tourner vers la gauche avant de la bloquer à nouveau.
« Ce cap vous convient-il ? demanda-t-il.
- Je crois que oui, répondit Aldéir avant de réactiver le pendentif. Attendez, pas tout à fait. Puis-je ? demanda-t-il en tendant la main vers la roue.
- Bien sûr, répondit l'elfe. Prenez garde à ne pas lâcher la roue et ne faite surtout pas de mouvement brusque, vous risqueriez de briser le safran, ajouta-t-il en débloquant la roue.
- Très bien, acquiesça Aldéir en saisissant la roue. »
Il la fit pivoter de manière à peine perceptible vers la droite, se fiant à la force d'attraction qu'il ressentait.
« Dans cette direction, dit-il alors que la magie cessait d'agir.
- Je vais maintenir ce cap dans ce cas. N'hésitez pas à revenir l'ajuster si vous sentez que nous dévions. La mer est relativement calme mais il n'est pas impossible que le vent nous fasse dériver malgré tout.
- Entendu. À plus tard dans ce cas. »
Le reste de la journée passa sans qu'aucun événement ne vienne perturber leur voyage. Aldéir ajustait le cap toute les heures, confiant sur le fait qu'il se rapprochait. Il sentait aussi décliner la présence d'Ahuor à mesure que le temps passait. Akan et Gurda passèrent leur journée à s'entraîner aux armes ensemble, de temps en temps rejoints par le rôdeur elfe. Ginger était postée sur le pont supérieur du gaillard d'arrière, savourant la brise marine dans ses cheveux. Elle passa le plus clair de sa journée à étudier d'anciens recueils de contes qu'elle avait emporté, griffonnant de temps en temps dans le journal qui contenait ses propres compositions. Pater observait la mer, absolument fasciné. Il n'avait jamais vu une si grande étendue d'eau et pouvait ressentir les innombrables êtres vivants qui la parcouraient. Ne tenant plus, il décida vers quinze heure qu'il lui fallait sentir la mer de plus près. Il se jeta à l'eau devant le regard ahuri des marins et de ses compagnons. Aldéir se jeta contre le bastingage et chercha le druide du regard.
Pater barbotait dans l'eau, nageant à côté du navire, un énorme sourire sur son visage. Pater ne s'était jamais senti aussi bien. Aussi loin qu'il pouvait projeter sa présence, il ne percevait que la nature la plus pure, sans la moindre trace de civilisation. Ce fut alors comme si un barrage venait de se rompre dans son esprit, libérant une vague de pouvoir dans son corps. Il était libre et ne faisait qu'un avec l'océan. Il laissa ce sentiment de liberté l'envahir et se métamorphosa. Ses jambes se rapprochèrent jusqu'à en former qu'un seul et même membre tandis que ses bras raccourcissait, devenant plus lisse et faisant disparaître ses mains. Ses vêtements disparurent sous sa peau noire à présent complètement lisse, tandis que son tronc changeait de forme. En l'espace de quelques secondes, le druide était devenu un magnifique dauphin noir dont les yeux rouges se posèrent sur Aldéir, figé par la surprise.
Le dauphin s'élança alors, brisant les flots avec élégance et dépassant sans mal la petite goélette qui avançait pourtant à bonne allure. Il bondit à plusieurs reprises, faisant preuve d'une stupéfiante agilité, avant de plonger à nouveau dans les eaux calmes, sans jamais s'éloigner du bateau. Le druide continua de suivre nager au côté du navire pendant le reste de l'après-midi, observant les autres animaux marins et explorant par endroit les étendues sous-marines. Ce n'est que lorsque la nuit commença à tomber qu'il reprit son apparence de tieffelin et remonta à bord à l'aide d'une échelle de corde lancée par ses compagnons.
Les cinq héros partagèrent leur repas avec les marins, discutant gaiement les uns avec les autres, simplement heureux d'être ensemble.
Le vent commençait à forcir, aussi furent-ils mis à contribution par les deux navigateurs pour réorienter les différentes voilures afin de limiter le mouvement de roulis du bateau. Après avoir souhaité une bonne soirée aux deux marins, les cinq aventuriers partirent se coucher, fatigué de leur première véritable journée en mer.
***
Gurda se réveilla précipitamment, se sentant soudainement en danger. Elle se leva et tira Ginger du lit, en lui faisant signe de ne pas faire de bruit. Lorsqu'elles sortirent de leur cabines, elle tombèrent nez à nez avec leur trois autres compagnons, les armes au clairs.
Le pont était envahi par la brume.
« Magique ? demanda Akan en chuchotant.
- Non, répondit Aldéir avec assurance. Cette brume est étonnamment naturelle.
- Ça ne me dit rien qui vaille, reprit le drakéide en ajustant sa prise sur son gladius et en dégainant sa dague magique.
- Ummil, prononça Aldéir.
- Pardon ? demanda Akan.
- Ummil, ça veux dire amour éternel en elfique. C'est le mot de pouvoir qui active le pendentif. Je vérifiais simplement que notre route soit toujours la bonne.
- Et alors ? demanda Ginger.
- Nous avons légèrement dérivé mais rien d'anormal, la mer est plus agitée. Nous nous rapprochons toujours. »
Aucun bruit ne se faisait entendre, à l'exception des vagues qui frappaient la coque avec force, provoquant un léger roulis.
Le rôdeur elfe prit la tête du groupe et se dirigea vers le pont, en quête des deux marins. Lorsqu'il émergea du couloir, la brume se fit plus froide et plus épaisse.
« Prenez garde, dit-il doucement. La brume a changée. Elle n'est plus naturelle à présent.
- Je l'ai senti aussi, acquiesça Gurda. »
Ils se trouvaient à quelques mètres du grand mât mais celui-ci était à peine visible dans l'épais brouillard.
Le bruit des vagues sur la coque se fit de plus en plus insistant, gagnant en intensité.
« Je ne pense pas que soit seulement des vagues qu'on entendent, intervint Pater en s'approchant du bastingage bâbord. »
Un elfe était en train de grimper sur la coque, se servant de ses ongles lorsqu'aucune prise n'était accessible. Il avait le teint pâle et une armure de cuir détrempée et partiellement arrachée. Ses cheveux noirs étaient emmêlé et parsemé d'algues. Lorsque son regard sans vie rencontra celui du druide, celui-ci s'écarta du parapet en criant :
« Un mort vivant essaye de monter à bord. À mon avis il n'est pas seul. »
À peine avait-il fini sa phrase qu'une silhouette fantomatique commença à descendre sur le pont en tournant silencieusement autour du grand mât. C'était une elfe à la peau blafarde et aux yeux injectées de sang. Elle semblait être constituée d'une substance vaporeuse blanchâtre qui donnait l'impression qu'elle portait une longue robe agitée par le vent. Ses cheveux, eux aussi brumeux, étaient blanc.
Elle était à moins d'un mètre du sol lorsqu'elle poussa un hurlement strident.
Les cinq aventuriers sentirent alors une douleur atroce leur perforer les tympans et se répandre dans leur crâne. Ils avaient l'impression que leur tête était sur le point d'exploser. Le cri se fit plus aiguë. La douleur était insoutenable tandis qu'une vague de désespoir commençait à submerger les cinq compagnons qui sentait la mort se rapprocher d'eux. Ils étaient incapable de bouger, comme si un froid glacial venait les libérer de cette intolérable souffrance et ne tarderait pas à stopper leur cœur.
Au prix d'un incroyable effort de volonté, Akan et Gurda parvinrent à résister à la torpeur glacé qui les envahissait, se laissant tous deux aller à rugissement de douleur et de colère. Leur trois autres compagnons s'effondrèrent, vaincus.
La plainte de la banshee cessa enfin et les deux aventuriers encore debout se remirent en garde alors que leur sang se remettait à circuler dans leur veines, réchauffant leur corps transis.
L'elfe réanimé qu'avait aperçu Pater était à présent monté à bord et se rapprochait tandis qu'un autre mort-vivant enjambait le bastingage tribord. La banshee avait quant à elle rejoint le pont et fixait Gurda de ses deux yeux vides.
Celle-ci se laissa submerger par la rage et se rua sur le zombie le plus proche, à bâbord. Elle trancha ses deux jambes d'un violent coup de hache, raffermit sa prise sur le manche et fit repartir son arme dans l'autre sens, décapitant le mort-vivant et lui arrachant un morceau de l'épaule droite.
Dans le même temps, Akan porta un premier coup à la banshee à l'aide de son gladius et fut surpris de sentir une certaine résistance lorsque la lame traversa la le torse du monstre. Elle poussa un hoquet de surprise mêlé de douleur alors qu'Akan en profitait pour la frapper à nouveau avec sa dague. Le monstre fit volte-face et posa une main fantomatique sur le bras drakéide qui poussa un cri de douleur. Le contact de la banshee était glacial et il avait l'impression que toute son essence vitale était en train d'être happé. Il bondit de côté, échappant à l'emprise de la créature et fit virevolter sa lame qui vint perforer le crâne de la banshee tandis qu'il portait un coup de dague dans son flanc droit. La femme poussa un hurlement de douleur et se jeta au travers du drakéide qui, déséquilibré, parvint de justesse à ne pas s'écraser au sol. Lorsqu'il se remit en garde, il avait pleinement repris le contrôle de son esprit et savait que la banshee ne pourrai plus l'atteindre. Celle ci tendit ses doigts décharnés vers le drakéide, sans parvenir à le toucher tandis que le zombie restant lui portait un vicieux coups de dague.
Le bateau heurta alors quelque chose d'imposant, manquant de faire tomber le drakéide.
Gurda, sans se préoccuper de la soudaine secousse, chargea le second mort-vivant. Celui-ci n'eut même pas le temps de sortir son arme. Elle poussa un rugissement et lui porta deux coups avec sa hache. Il bascula par dessus bord, laissant seulement un morceau de jambe sur le pont.
Akan s'approcha de la banshee, esquiva ses mains fantomatiques et lui planta sa dague dans les côtes. Un coup de hache de Gurda acheva la créature qui s'évanouit dans la brume, tandis que le froid surnaturel disparaissait, ne laissant qu'un simple brouillard sur le pont.
Après avoir rangé ses armes, le drakéide s'approcha du corps de Ginger et fit appel aux pouvoir de la nature en posant ses mains sur son ventre. Elle se mirent à luire d'une douce lumière bleutée tandis que la gnome reprenait des couleurs. Lorsqu'il se releva, elle avait ouvert les yeux et commençait à se redresser.
« Gurda et moi avons réussi à venir à bout des mort vivants et de la banshee, expliqua le rôdeur. Peux-tu t'occuper de Pater ? Je me charge d'Aldéir.
- Oui oui bien sûr, dit-elle en se remettant sur pied. Je vais chercher des couvertures. Autant garder nos forces pour ce qui nous attends plus loin.
- Très bien. »
Ginger s'élança en direction des cabines et ne tarda pas à revenir avec deux grosses couvertures de laines. Ils les disposèrent sur les corps frigorifiés d'Aldéir et Pater. Au bout de quelques minutes, ils finirent par ouvrir les yeux. Ginger incanta rapidement, leur prodiguant à tous deux des soins rudimentaires qui leur permirent de se remettre debout. une fois le groupe au complet, ils se dirigèrent vers le gaillard d'avant où ils trouvèrent les deux elfes inconscients mais en vie. Après quelques minutes, ceux-ci se reprirent leurs esprits.
« Par les dieux, cette brume. Elle m'a glacé le sang, j'ai cru que je ne me réveillerait pas cette fois-ci, s'exclama l'un des deux marins, tandis que son camarade murmurait une prière en elfique.
- C'était des morts vivants, expliqua Akan.
- Ce n'est malheureusement pas rare de croiser de telles créatures en mer, réagit l'un deux. Dans les endroits où il y a beaucoup de naufrages.
- Logique, dit Ginger.
- Nous sommes arrêtés ! s'écria soudain l'autre marin en se rendant compte que le bateau ne bougeait plus. »
Il se leva et alla regarder par dessus le bastingage.
« Nous avons heurté des rochers. Je n'ai pas l'impression que la coque soit endommagé mais il va falloir aller s'en assurer.
- Des rochers ? demanda son camarade avec étonnement.
- Oui et pas qu'un peu ! Viens voir ! »
Son compagnon le rejoint prestement, suivi de près par les cinq aventuriers. Le marin ne put retenir un hoquet de surprise.
L'océan qui s'étendait devant eux étaient jonchés d'écueils, affleurements rocheux à peine visible mais qui rendait la navigation presqu'impossible. Certains de ces rochers était d'ailleurs si rapprochés qu'ils formaient une espèce d'îlot sur lequel il était possible de débarquer.
Le bruit d'un léger choc contre la coque surpris Aldéir qui se pencha par dessus le parapet pour en déterminer l'origine.
« Nous avons eu de la chance apparemment, s'exclama-t-il calmement.
- Comment ça ? demanda Ginger.
- Regarde la mer, répondit celui-ci laconique. »
La gnome se hissa tant bien que mal à la hauteur du bastingage et observa les flots. Ceux-ci étaient chargés de débris en tout genre : des caisses éventrées, des voiles en lambeaux, des morceaux de bois …
« En effet seigneur Verteflammes, acquiesça l'un des deux navigateurs sombrement. C'est un véritable champs d'épaves que nous avons là.
- Que dit le médaillon ? demanda Ginger. On a beaucoup dérivé ? »
Aldéir prononça le mot de pouvoir et se concentra un instant.
« Non pas vraiment, répondit-il, nous sommes un petit peu plus à l'est mais nous ne nous sommes pas vraiment éloignés.
- C'est déjà ça, se réjouit Akan avant de se tourner vers les deux marins. Selon vous, dans combien de temps pourrons nous reprendre notre route ?
- Une dizaine de minute je pense. La coque n'a pas l'air endommagé mais il faut que j'aille m'en assurer. Une fois que ce sera fait, il nous suffira réorienter la voilure pour nous remettre d'aplomb et nous pourrons repartir.
- Excellent, répondit Aldéir. Je pensais aller explorer un peu ces rochers pendant que vous préparez le navire. Avez-vous une échelle de corde à me prêter ?
- Bien entendu, répondit le marin. Je vais vous installer ça immédiatement.
- Merci. »
Le marin se rendit sur le pont principal et installa en quelques geste précis l'échelle de corde sur le flanc tribord.
« Je vais venir avec toi, intervint Akan.
- Moi aussi, ajouta Pater.
- Si vous voulez. Gurda, Ginger ? Vous restez à bord pour surveiller ?
- Ça marche ! répondit la naine. »
Ils descendirent donc l'échelle de corde les un derrière les autres et furent bientôt à terre. Les pierres, polies par la marée, formaient des espèces de dalles naturelles extrêmement glissantes. Avec précaution, les trois jeunes aventuriers avancèrent dans la brume, passant d'une pierre à l'autre sans grande difficulté, tout en observant les débris.
Pendant ce temps, Gurda examinait la surface de l'eau avec attention. Elle avait remarqué un étrange débris qui flottait à la surface. Elle avait comme l'impression qu'il changeait de couleur, comme pour mieux se fondre dans le paysage. Intriguée, elle prit son élan et se jeta à l'eau dans un splash retentissant. Elle nagea ensuite en direction de l'étrange objet et s'en saisit. Celui-ci se dota alors d'une joli teinte gris claire et Gurda réalisa qu'elle tenait dans ses mains une magnifique cape orné de symboles elfiques. Celle-ci, bien que détrempée, ne semblait pas avoir été endommagé par son séjour prolongé dans l'eau salé. Elle la passa sur son épaule et celle-ci s'ajusta instantanément à sa morphologie tandis que ses contours se brouillaient doucement jusqu'à la rendre presque invisible dans le brume. Ravie, la naine s'empressa de remonter à bord du bateau avec sa précieuse trouvailles.
Aldéir, quant à lui, s'était approché d'une caisse éventrée et examinait son contenu. Il s'agissait d'une cargaison d'étoffes colorées à présent raidies et délavées par l'eau salée.
« Ça ressemble à la cargaison que nous a décrit Enialis, dit Aldéir à haute voix pour que tous ses compagnons l'entendent.
- Et bah ma foi ! s'exclama Gurda en s'ébrouant sur le pont. Vous saviez qu'il y avait des rochers pareils dans le coin ? demanda-t-elle au marin qui ajustait les voiles.
- Pas du tout. Je n'en ai absolument jamais entendu parler. Mais quand on y pense, ce n'est pas très étonnant. Nous nous sommes pas mal éloignés de la route que nous avons l'habitude d'emprunter. Peut-être ce brouillard a-t-il réussi à désorienter suffisamment les navigateurs pour les faire dévier jusqu'ici.
- Peut-être oui, dit-elle.
- Ça me parait quand même bizarre, ajouta le second elfe qui venait de remonter de la cale. N'importe quel marin sait garder un cap fixe, même dans la brume. Je ne vois pas comment ils ont pu dériver à ce point vers le nord.
- C'est quoi ça là bas ? demanda Ginger en pointant un point lumineux au nord.
- On dirait un phare ! s'exclama l'un des navigateurs incrédules. »
Pater avait aussi remarqué l'étrange lueur et s'était un petit peu rapproché avec ses deux compagnons.
« On se rapproche de l'autre médaillon, dit Aldéir. Je serai prêt à parier qu'il se trouve là bas, au niveau de cette lumière.
- C'est probable en effet, acquiesça Pater. Qui dit phare dit terre. »
Le drakéide s'était quant à lui accroupi et observait avec attention le haut fond recouvert de sable qu'il avait devant lui. Il aurait juré avoir vu quelque chose briller. Il plongea sa main et commença à fouiller le sable. Il ne tarda pas à mettre la main sur plusieurs dizaines de pièces d'argent et même une pièce d'or.
« On est prêt à repartir ! s'époumona la naine en agitant ses petits bras.
- On arrive ! cria Aldéir en retour. »
***
Quelques minutes plus tard, le navire était de nouveau en mouvement sur les eaux calmes et embrumées. Gurda, exténuée par son combat était parti se reposer, tandis que le reste de l'équipage aidait les deux marins à manœuvrer au milieu des nombreux rochers. Ginger et Aldéir se placèrent sur bâbord tandis qu'Akan et Pater était à tribord, guettant les obstacles dans la brume.
« Cap sur la lumière ! cria l'un des marins avant de hisser les voiles, faisant accélérer le navire. Criez lorsque vous voyez quelque chose. »
Ils progressèrent ainsi pendant près d'une demi-heure, le barreur ajustant le cap à mesure que ses camarades annonçait un rocher.
Rapidement, Aldéir annonça que le navire se rapprochait de l'autre médaillon, provoquant un regain de motivation à l'ensemble de l'équipage.
Bientôt, les premiers rayons de soleil traversèrent la brume qui commençait à se dissiper, laissant apparaître une île à l'horizon, entouré de nombreux rochers hauts et escarpés.
« Terre au sud est ! cria le gabier. C'est certainement là que se trouve le phare que l'on suit.
- Peut-être, acquiesça Aldéir. Elle est peut-être habitée, soyons prudent, ajouta-t-il en baissant la voix »
Gurda ne tarda pas à rejoindre ses compagnons sur le pont et ils purent bientôt distinguer la géographie de l'île. Il s'agissait d'une espèce de grosse colline rocailleuse sur le sommet de laquelle se trouvait ce qui ressemblait à des ruines d'un fort. La lumière qui les avait guidé dans la brume n'était plus visible, noyée par les rayons du jour.
Aldéir observa l'île avec ses yeux de lynx et réalisa qu'elle était effectivement habitée. Il voyait distinctement plusieurs dizaines de personnes vaquer à leurs occupations dans les ruines du fort. Il fit alors signe aux marins de ralentir l'allure et leur pointa l'un des grands rochers à proximité. Ceux-ci comprirent les intentions du rôdeur et ne tardèrent pas à guider le navire derrière le grand roc désigné par Aldéir, le masquant à la vue d'éventuelles sentinelles postées sur l'île.
« Qu'est ce que tu as vu ? demanda Ginger, une fois que le bateau fut arrêté.
- Beaucoup de monde. Le fort est peut-être en ruine mais il est loin d'être abandonné.
- Combien de personne ? demanda Akan.
- Plusieurs dizaines. Peut-être plus d'une centaine. Et c'est sans compter ceux qui sont à l'intérieur.
- Mais qui sont ces gens ? réfléchit Pater à haute voix.
- Des dockers de la cité, répondit Aldéir, provoquant une vague de surprise parmi ses compagnons. Ils portent les même vêtements de cuir que ceux que nous avons vu sur les quais, avec leur cimeterres nus au côté.
- De mieux en mieux, intervint Gurda. On fait quoi ?
- Le médaillon est sur l'île, j'en suis persuadé dit Aldéir avec conviction. Et je suis presque sûr que la compagne d'Enialis est encore en vie. Il y a une plage sur le côte nord de l'île et je n'ai pas remarqué de patrouille. J'ai cru voir un ponton sur la plage sud de l'île mais celle-ci semblait beaucoup plus surveillée.
- Et le phare ? demanda Akan. Tu l'as vu ?
- Je n'ai pas vu de phare mais je pense savoir ce qui faisait cette lumière. Il y a une espèce de grand disque suspendue à un mât, à l'est du fort. Je suis prêt à parier que c'est ce disque qui est visible de loin.
- Je comprends mieux, intervint l'un des deux marins.
- De quoi ? demanda Gurda.
- Le disque. Si c'est effectivement lui qui produit cette lumière, ils doivent s'en servir pour tromper les navires dans la brume en leur faisant croire qu'ils approchent de la cité des trois couronnes.
- Sauf qu'au lieu d'arriver dans un port, ils s'échouent sur les rochers et le courant emporte une partie des cargaisons directement sur l'île, termina Aldéir. »
L'autre elfe laissa échapper une insulte en elfique et cracha par dessus le bastingage.
« On fait quoi du coup ? demanda Gurda.
- Je propose qu'on tente notre chance sur la plage nord, répondit Akan.
- Je suis d'accord, approuva Aldéir. Mais il faut faire vite avant que la brume n'ai complètement disparu.
- On peut vous débarquer sur la plage mais comment allez vous revenir à bord ? demanda l'un des elfes.
- Je viendrai vous chercher, répondit Pater.
- Dans ce cas, allons y. »
***
La plage était étonnamment déserte mais les deux rôdeurs ne tardèrent pas à remarquer des traces de pas dans le sable.
« Trois hommes, dit Aldéir. Probablement une patrouille d'après le chemin.
- Je suis d'accord, reprit Akan. Il y a aussi des empreintes d'animaux. Elles datent toutes d'hier. Nous devrions nous dépêcher de trouver un abri avant qu'une nouvelle patrouille n'arrive. »
Le groupe prit le temps d'observer le paysage qui s'étendait devant eux. La plage devait faire environ deux-cent mètres. Devant eux, d'immense falaises à pic s'élevaient vers le ciel. Les ruines était visible au sommet. Un grand escalier avait été grossièrement creusé dans la roche sur la partie la plus à droite, tandis qu'une ouverture était visible à droite.
« Si on veut être discret, il vaut peut-être mieux éviter les escaliers, remarqua Ginger.
- Effectivement, approuva Aldéir. Allons voir la grotte alors.
- Ça ça me plait ! s'exclama Gurda joyeusement. La traversée en bateau, ça va cinq minutes. »
Ses compagnons ne purent réprimer quelques éclats de rires tandis que le petit groupe se dirigeait vers l'entrée de la caverne.
L'ouverture, large d'environ deux mètres, devait faire à peine un mètre de hauteur.
« C'est une blague ! s'écria Gurda en voyant que la caverne était inondée. Même les grottes sont bourrées d'eau maintenant.
- Je ne sens pas la présence d'animaux ou de monstre dans l'eau, intervint Pater. Je vais aller voir ce qu'il y a au bout. Peut-être peut-on traverser.
- Bonne idée, approuva Akan. »
Le tieffelin ferma les yeux et se jeta dans l'eau. Son corps se métamorphosa alors qu'il était encore dans les airs et c'est finalement une pieuvre complètement noire qui plongea dans les eaux sombres de la caverne. Il découvrit rapidement une sorte de boyau qui filait plein sud, à travers le montagne. Au bout de presque trois minutes de nage il émergea dans une cavité dont le plafond se trouvait à presque six mètres au dessus de la surface de l'eau. Tout en haut, il pouvait distinguer une ouverture d'où s'échappait de la lumière. Il fit alors le chemin inverse et fut bientôt au côté de ses camarades sur la plage, gardant sa forme de pieuvre pour préserver ses forces.
Avec ses tentacules, il parvint à dessiner dans le sable le tunnel qu'il avait emprunté ainsi que le boyaux qui, une fois escaladé, permettrait certainement de rejoindre le fort.
« Combien de temps faut-il pour rejoindre l'autre extrémité ? demanda Aldéir. »
Pater parvint, non sans mal, à tracer le chiffre trois dans le sable.
« Trois minutes ? demanda Ginger. »
Le druide fit bouger deux de ses tentacules de haut en bas.
« Ça va être compliqué mais ça reste faisable, dit Aldéir. D'autant qu'on peut se servir de nos gourdes comme de réserve d'air.
- Trois minutes d'apnée ? demanda Gurda. J'ai pas besoin de réserve pour faire ça.
- Je pense que ça devrait aller pour moi aussi, ajouta Akan. Si vous en avez besoin, vous pouvez récupérer nos gourdes.
- Je veux bien, répondit Ginger avec gratitude.
- Je vais prendre celle de Gurda alors, intervint Aldéir. »
Ils vidèrent donc leurs outres les répartirent entre eux. Pater fut le premier à s'élancer dans le passage, suivi par Gurda, Aldéir, Ginger et enfin Akan. Tous parvinrent à rejoindre l'autre côté sans rencontrer de véritable problème.
Un faible rayon de lumière était visible tout en haut des parois, émergeant de ce qui semblait être une petite ouverture dans laquelle il était possible de ramper. Mis à part la faible lueur, le passage était plongé dans l'obscurité la plus totale. Ceci n'était en réalité un problème que pour le drakéide, ses compagnons ayant tous des yeux adaptés aux endroit les plus sombre.
Akan s'approcha instinctivement des parois pour se donner des repères et réalisa que celles-ci étaient humides et recouverte d'une substance visqueuse qui les rendaient particulièrement glissantes.
« Nous sommes vraiment très proche de l'autre médaillon, dit Aldéir après avoir activé l'objet magique.
- Bon et bien il ne nous reste plus qu'à escalader alors, dit Gurda.
- Facile à dire, rétorqua Akan. Les parois sont très glissante et je ne vois absolument rien. »
Ginger commença à chanter quelques mots dans dans l'étrange langage arcanique. Quatre orbes bleutés apparurent bientôt devant elle et filèrent vers le haut, éclairant la totalité du conduit.
« Merci, dit Akan. Ça devrait être plus simple.
- C’est fou quand même. Descendant de dragon et pas capable de voir dans une grotte ! se moqua gentiment Gurda, provoquant l'hilarité générale, avant de commencer à grimper. »
Pater reprit son apparence de tiefelin puis tous suivirent l'exemple de Gurda, utilisant les moindres aspérités pour se hisser. En moins d'une minute, tous avaient escaladé la moitié de la paroi, à l'exception d'Akan qui avait glissé et était retombé dans l'eau glacée. Les autres continuèrent leur lente progression. L'un des pieds de Ginger glissa alors qu'elle entamait son dernier mètre. Elle perdit l'équilibre et chuta de plus de cinq mètres directement dans l'eau. Elle parvint à limiter les dégâts de sa chute mais elle ne put retenir un petit cri de douleur lorsque son épaule percuta la surface de l'eau. Les autres atteignirent le sommet du boyau. Ils pouvaient voir une espèce de petite plateforme large de moins d'un mètre qui permettait d'accéder au minuscule tunnel dont filtrait la lumière. Gurda se hissa dessus et commença à ramper dans le tunnel avant de s'arrêter. Aldéir se hissa à sa suite, occupant le reste de la plateforme. Pater bandait ses muscles contre la paroi, maintenant sa position.
« Pourquoi t'es-tu arrêtée ? demanda Aldéir.
- Il y a un mur au bout. Il a pas l'air bien solide mais j'entend des bruits de voix. Ça vient pas de juste derrière, mais c'est pas loin.
- On ne va pas pouvoir tenir comme ça très longtemps. Tu peux essayer d'ouvrir une brèche dedans sans trop attirer l'attention ?
- Bah voyons. Casse un mur mais fais pas trop de bruit ! répondit-elle en riant à voix basse. Je vais faire ce que je peux mais je te préviens qui si j'y arrive pas, je vais défoncer le tout à coup de marteau et tant pis pour la discrétion.
- Fais au mieux, répondit Aldéir qui savait qu'il n'obtiendrait pas mieux de la naine. »
Celle-ci s'approcha encore un peu et commença à taper le mur avec son marteau, retenant ses coups pour faire le moins de bruit possible, sans vraiment parvenir à entamer la pierre.
Aldéir, quant à lui, sortit une corde de son sac de voyage et la noua autour de l'étroite plateforme sur laquelle il se trouvait. Il jeta l'autre extrémité dans le boyau.
Ginger et Akan avait repris leur progression. Le drakéide dégringola au bout de quelques mètres, heurtant la paroi en tombant, tandis que la gnome glissa une fois encore à moins d'un mètre du plafond. À l'essai suivant, Ginger parvint à rejoindre le druide tandis qu'Akan essuyait un échec supplémentaire, et ce malgré la corde lancée par Aldéir.
Le drakéide était trempé et commençait à perdre patience. Il agrippa la corde d'une main et commença de nouveau son ascension, progressant très lentement. Il avait atteint la moitié du parcours lorsqu'un grand bruit retentit dans le boyau.
« C'était quoi ça ? demanda Aldéir.
- À ton avis ? Pour casser un mur il faut taper dessus pour de vrai. J'arrive à rien avec la méthode discrète. »
Les voix se rapprochèrent du mur derrière lequel se trouvait Gurda mais finirent par s'éloigner. Celle-ci reprit son travail, tentant tant bien que mal de retenir ses coups.
Akan se trouvait à environ deux mètres du plafond lorsque Ginger poussa un petit cri et chuta dans l'eau, n'ayant pas réussi à maintenir son équilibre. Elle recommença aussitôt à grimper.
Un second coup résonna dans le conduit.
« C'est bon, j'ai fait un trou dedans, dit Gurda. On peut y aller. »
Elle avança dans le boyau et pénétra dans la pièce qu'elle venait de découvrir. Le reste de ses compagnons suivirent. Akan et Ginger fermaient la marche.
***
La petite pièce dans laquelle ils venaient de pénétrer était vide et dans un état déplorable. Le sol était recouvert d'eau stagnante dans laquelle se développaient d'innombrables champignons verdâtres recouvrant le sol et les parties inférieures des murs de pierres à moitié effondrés. De l'autre côté de la pièce, sur le mur de droite, se trouvait une porte en bois à moitié moisi derrière laquelle se faisait entendre de discrets éclats de voix.
« Je ne pense pas qu'ils nous ai remarqué, dit Aldéir avec assurance.
- Vous avez-vu ces champignons ? demanda Pater, fasciné. Je n'ai jamais rien vu de tel.
- C'est des champignons quoi, répondit Gurda. Je vois pas bien ce que tu leur trouves.
- C'est de l'eau salé, s'exclama Pater à voix basse. Tu as déjà vu des champignons pousser dans l'eau salé ? Et en telle quantité ? C'est tout simplement prodigieux, ajouta-t-il en se baissant et en prélevant quelques échantillons dans une fiole qu'il avait tiré de ses sacoches.
- Ouais ouais si tu le dis, dit la naine. Ce qui se dit à côté m'intéresse déjà beaucoup plus, termina-t-elle en s'approchant de la porte. »
Akan et Aldéir la suivirent sans bruit. Bien que la porte ne posséda pas de serrure, il était aisé de distinguer l'autre pièce tant le bois était abîmé.
Deux hommes habillés comme les dockers de la cité discutaient tranquillement.
« J'ai vu qu'on avait récupérés des marchandises intéressantes aujourd'hui. Tu sais d'où elles viennent ?
- Un bateau je crois.
- Encore un qui s'est échoué c'est ça ?
- Ouais. Y avait qu'à attendre que le contenu de ses cales atterrissent sur la plage.
- Comme tu dis. C'est quand même le bon plan. En plus …
- Tais toi, l'interrompit son camarade alors que des bruits de pas se faisait entendre, suivis par l'ouverture d'une porte quelque part à gauche.
- Je vous confirme que je suis intéressé mais il va falloir discuter du prix, dit un des homme qui venait d'entrer dans la pièce.
- Bien entendu. Allons dans la salle de réunion. Nous y serons plus tranquille, répondit un second.
- Très bien Mr. Thomas. Je vous suis. »
Quatre homme passèrent brièvement dans le champ de vision des rôdeurs et de la naine, marchant d'un pas pressé. Il était facile de deviner lequel d'entre eux était Quark Thomas, le chef des dockers. C'était un homme d'âge mûr qui portait une fine tunique sombre par dessus un pantalon en cuir noir. La lame nue d'un cimeterre se balançait négligemment à son côté. De courts cheveux gris encadrait un visage buriné et couturés de multiples cicatrices à l'air menaçant. Son œil droit, barré d'une vilaine estafilade verticale, était entièrement blanc. Son interlocuteur, suivi de deux hommes en armure complète, était un humain chauve au sourire et aux yeux mauvais qui portait une tunique coloré et visiblement luxueuse.
« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas de l'autre ? Je suis prêt à vous faire un prix de groupe pour les deux si vous le souhaitez.
- J'apprécie votre offre mais ce genre de marchandise n'intéresse pas mes clients.
- C'est comme vous voulez, répondit Quark. de toute façon il est très bien là où il est, à pourrir sur les rochers.
- Qu'a-t-il fait pour mériter ce châtiment ? demanda le chauve.»
Un porte s'ouvrit quelque part à droite.
« Le chien s'est fait passé pour l'un des nôtre et a détourné une cargaison complète de marchandise volés pour les rendre à leur propriétaire. Un de mes hommes a même été arrêté par les gardes de la cité par sa faute. »
La porte se referma, étouffant le reste de la conversation. Il ne restait plus qu'un seul docker dans la pièce, négligemment assis sur une caisse posée contre un mur.
« Ginger, appela doucement Akan, il ne reste plus qu'un garde. Tu penses que tu peux l'endormir ?
- Bien sûr que je peux, répondit la gnome avec un air faussement outré. »
Elle s'approcha de la porte et sortit sa flûte de pan. Elle la porta à ses lèvres et commença à jouer une mélodie apaisante à peine perceptible tant elle soufflait doucement dans son instrument. Elle ferma les yeux et ses mains se mirent à luire d'une jolie lumière bleuté tandis que ses mouvements se firent de plus en plus lent, presque hypnotique. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, le docker s'était affaissé contre le mur et ronflait calmement.
Aldéir fit pivoter la porte de bois dans un grincement et s'approcha du brigand endormi. Aidé d'Akan, il le déplaça dans la salle aux champignons et le ligota fermement avant de lui enfoncer un morceau de tissus dans la bouche. L'elfe parcouru ensuite les poches du dockers et n'y trouva que dix pièces de cuivre qu'il plaça dans sa bourse avant de dégainer un de ses sabres et de le placer sur la gorge du docker qu'il réveilla d'un coup de pied dans le flanc.
« Un bruit et tu es mort. Cligne des yeux si tu as compris, dit Aldéir avec un calme menaçant. »
Le prisonnier obtempéra en silence et Akan lui retira son bâillon.
« Où sont les elfes qui étaient à bord des bateaux échoués ? demanda Aldéir.
- Morts, répondit le docker.
- Tous ? continua le rôdeur.
- Oui. Sauf la fille. Elle est dans la pièce à côté.
- Quelle pièce ?
- Celle juste à gauche, la porte que je gardais.
- Et l'homme dont parlait Thomas et le chauve, intervint Akan. C'est un demi-elfe ? C'est le "démon aux yeux jaunes" ?
- Ouais c'est lui.
- Où est-il exactement ?
- Sur la plage sud. Il est enchaîné dans l'eau depuis presque deux jours. Et on lui a mis un bâillon aussi. Il nous retourne la tête à chaque fois qu'il ouvre le bâtard.
- Qui était l'homme qui marchandait avec Thomas ? demanda Aldéir.
- Un marchand d'esclave. Il est là pour la fille je crois. C'est un gars qui bosse avec Skalafaar d'habitude.
- Skalafaar ? demanda l'elfe. Il est ici ?
- Nan, il revient de temps en temps pour prendre ces foutus champignons, pour ses poisons. Mais c'est plus lui notre chef. Il a laissé le commandement à Thomas.
- Intéressant, dit Aldéir. Et à part la cellule à gauche, où mènent les autres portes ?
- Celle du fond c'est pour aller au garde manger et au coffre. L'autre à droite c'est le dortoir puis l'esplanade devant le fort.
- La sortie ?
- Faut passer par le dortoir et l'esplanade, y a pas le choix. Vous avez pas la moindre chance à cinq. Si vous me laissez partir, on sera peut-être plus clément.
- On va se débrouiller, dit Gurda avant de le frapper violemment à la tempe, le plongeant dans l'inconscience. Bon on fait quoi de lui ?
- Nous pouvons le laisser ici, dit Aldéir. Attaché et bâillonné, il ne pourra pas nous faire grand tort.
- Je pense que nous devrions le tuer, dit Akan. Le laisser en vie est un risque inutile.
- Je ne suis pas un assassin, dit Aldéir. Je ne tuerai pas un homme attaché et inconscient. Mais je ne m'interposerai pas non plus.
- Très bien, dit Akan. »
Le drakéide dégaina sa dague et égorgea le docker d'un geste vif.
« Et le corps ? demanda Gurda.
- Nous pourrions le jeter à l'eau, par là où nous sommes venu, dit Pater.
- Bonne idée, acquiesça Akan. »
Après quelques minutes, le druide et le drakéide parvinrent finalement à faire passer le cadavre à travers la brèche du mur et le firent basculer dans l'eau.
Les cinq compagnons retournèrent ensuite dans la pièce centrale et poussèrent la porte de la cellule, révélant un spectacle ignoble.
Une jeune elfe au long cheveux blonds et entièrement vêtue de rouge était enchaînée au centre de la petite pièce sombre. À bout de force, la prisonnière était à peine capable de se tenir à genoux, seules les lourdes chaînes de fer fixées à son cou et ses deux poignets l'empêchaient de tomber à terre.
Dés que la lumière toucha son visage, elle ouvrit ses beaux yeux rougies par les larmes et fixa ses deux pupilles dorées sur ses sauveurs.
« Quelle horreur ! lâcha Akan avant de s'attaquer aux chaînes avec Gurda.
- Dame Neldyrcyll, commença Aldéir, c'est votre époux qui nous envoie, ajouta-t-il en lui montrant le médaillon.
- Enialis, murmura-t-elle faiblement tandis que des larmes glissaient doucement sur ses joues. »
Il ne fallut pas plus d'une minutes à Akan et Gurda pour libérer la pauvre elfe qui s'effondra dans les bras d'Aldéir, complètement épuisée.
Pater s'agenouilla alors à ses côtés et sortit un rameau de l'un de ses sacs de composants. Il posa sa seconde main sur les minuscules bourgeons de la branche et ferma les yeux en murmurant un étrange mot dans l'ancienne langue des druides. Ceux-ci se mirent à grossir à vue d'œil et finirent par fleurir en l'espace de quelques instants, révélant de petites baies rouges. Le druide les cueillit avec délicatesse et les déposa dans un petit mortier de bois. Il broya ensuite les fruits pour former une épaisse pâte rosée qu'il offrit ensuite à Ahuor.
« Merci, ami druide. Je me sens déjà mieux, dit-elle d'une voix faible mais plus assurée après avoir terminé le bol de baies.
- Je vous en prie.
- J'ai trouvé ça ! intervint Ginger qui venait de faire irruption dans la pièce. Je suis presque sûr que cela t'appartient, ajouta-t-elle en tendant ses trouvailles à la jeune elfe. »
Un joli sourire illumina son visage lorsqu'elle posa les yeux sur ce que venait d'apporter la gnome. Il s'agissait d'une fine capeline rouge brodée d'or. Ahuor récupéra le vêtement et s'empressa de le retourner. Elle posa ses doigts sur l'une des coutures et fit glisser ses ongles abimés dans un minuscule accroc, presqu'invisible. Après quelques mouvements précis, elle fit glisser un fine chaîne d'argent au bout duquel se trouvait un médaillon. Le pendentif ciselée dans un métal sombre était constitué de deux cercles imbriqués au centre desquels une sphère bleuté luisait régulièrement, pulsant au rythme d'un battement inaudible. Lorsqu'elle passa la chaîne autour de son cou, Aldéir sentit une vague d'émotion le traverser l'espace d'un instant. Il pouvait sentir sa douleur, sa fatigue mais aussi son soulagement de retrouver le médaillon et sa liberté. Le lien se coupa aussi vite qu'il s'était établi.
« Je vous prie d'excuser ma maladresse. J'ai tellement l'habitude d'ouvrir mon âme à Enialis au travers du médaillon que je n'ai pas réfléchi.
- Ce n'est rien, lui assura le rôdeur.
- Je ne connais même pas vos noms …
- Je suis Aldéir de la maison Verteflammes. Voici Akan, Ginger, Pater et Gurda, présenta l'elfe en désignant ses compagnons tour à tour.
- Merci. Je ne sais comment vous exprimer ma gratitude …
- Pour l'heure, commença Akan, il nous faut retourner à notre navire. Vous devriez économisez vos forces.
- Vous avez raison, dit-elle doucement.
- Il y a un coffre à côté, ajouta Ginger après quelques instants de silence.
- Allez y, dit Pater doucement. Je vais rester à ses côtés le temps que vous terminiez d'explorer les environs.
- Très bien, répondit Aldéir. Allons voir ce coffre, ajouta-t-il à l'attention de la gnome. »
La barde mena ses compagnons dans la petite pièce qui servait de garde manger, à quelques mètres de la cellule. Elle était emplies de caisses et d'étagères sur lesquels étaient entreposés de nombreuses victuailles : légumes, bocaux, viandes, bières …
Au fond de la salle se trouvait un coffre de bois d'environ un mètre de haut. Le petit groupe s'approcha.
« Il est piégé, dit Akan après un rapide coup d'oeil à la serrure.
- Ah ? demanda Aldéir.
- Regarde la serrure. Elle ne me semble pas normale. Certaines goupilles ne sont pas reliées au même endroit que les autres.
- Effectivement, approuva Aldéir après avoir observé la serrure avec attention à l'aide de ses yeux de lynx.
- Si vous avez pas envie d'utiliser la serrure, on peut aussi défoncer le tout à coup de marteau, intervint Gurda.
- Pas si on veut ressortir d'ici sans alerter la totalité des dockers, dit Aldéir.
- Je suis d'accord, ajouta Ginger. De toute façon, on est pas venu pour piller un coffre. La priorité est de repartir d'ici avec Ahuor.
- C'est bon j'ai compris, dit Gurda en levant ses deux mains en signe de reddition. Je casserai pas de coffre aujourd'hui c'est tout ! J'ai déjà casser un mur, tu me diras, c'est mieux que rien ! termina-t-elle en riant tandis que les quatre amis retournaient aux côtés de Pater. »
Le druide était toujours agenouillé à proximité de la jeune elfe.
« Elle s'est endormie, elle est épuisée, dit-il doucement. Elle ne vas pas pouvoir faire beaucoup plus que marcher.
- Il est donc exclu de passer par l'entrée principale, dit Aldéir.
- Sans le moindre doute.
- Cela ne nous laisse qu'une seule option, commenta Akan sombrement. Il va falloir repartir par là dont nous sommes venu.
- Elle ne pourra jamais nager en apnée suffisamment longtemps, intervint Aldéir.
- Nous n'avons pas le choix. Il va falloir l'aider à traverser.
- Je peux me transformer en dauphin pour la tracter. Mais il vous faudra m'emmener sous cette forme jusqu'à l'océan pour que j'aille chercher le navire. Je ne pense pas pouvoir réussir une transformation de plus.
- C'est pas un problème ça ! dit Gurda. C'est rien qu'un gros poisson, c'est pas bien lourd à transporter.
- On dirait que nous avons un plan alors, conclut Akan avec un sourire.
- On devrait déplacer les caisses devant la porte, ajouta Ginger. Ça les ralentira si jamais il se rendent compte de quelque chose.
- Bonne idée, dit Aldéir. »
Il récupèrent donc une dizaines de caisses dans le garde manger et les entassèrent discrètement devant la porte qui menait aux dortoirs. Lorsqu'ils furent prêts, il réveillèrent Ahuor et l'aidèrent à se mettre debout. Après quelques pas incertains, elle se déclara prête à marcher seule. Ils mirent alors leur plan à exécution.
***
Le petit groupe commença par redescendre dans le boyau glissant, les uns après les autres. Aldéir passa le premier avec Ahuor. Il commença par solidement fixer une corde à la plateforme rocheuse qui surplombait le passage. Lorsqu'il fut satisfait de la résistance du système d'assurance, il interpella Ahuor :
« Nous allons descendre en rappel. Si vous me le permettez, je vais attacher la corde à votre taille.
- Oui bien sûr, répondit-elle doucement. »
Aldéir enroula la corde autour de la noble elfe, puis verrouilla son attache à l'aide d'un nœud compliqué.
« C'est fait, ma dame. Nous allons descendre ensemble à présent. Êtes vous prête ?
- Je le pense.
- Très bien. Alors allons y. »
Le rôdeur lui tendit sa main gauche. Ahuor agrippa celle-ci avec le peu de force qui lui restait. Il commencèrent ensuite à descendre. Aldéir prenait soin de descendre par petit bonds sur la paroi, afin de ne pas soumettre Ahuor à de trop gros chocs. À chaque étape, il s'assurait de son état et vérifiait son accroche. En moins de deux minutes, ils parvinrent à atteindre la surface de l'eau. Celle-ci était glacé et fit frémir Ahuor qui commença à claquer des dents pendant qu'Aldéir la délestait du système d'assurage.
Il fut très vite rejoint par le reste de ses compagnons qui désescaladèrent la paroi sans encombre en rappel, abandonnant la corde sur place.
Pater ne tarda pas à changer de forme, prenant l'apparence d'un élégant dauphin noir au yeux rouges.
« Dame Ahuor, il va falloir vous accrocher de toutes vos forces à Pater, dit Akan. Il vous fera traverser le tunnel le plus vite possible.
- Je comprends, dit-elle entre deux frissons. Je vais faire de mon mieux. »
Elle passa ses deux frêles bras autour du druide et chercha à affermir sa prise sur la peau glissante du dauphin. Au bout de quelques secondes, elle fit un petit signe de tête en direction d'Akan. Le drakéide gratifia Pater d'une légère tape sur le flanc. Celui-ci plongea et commença à nager, entraînant la noble dame avec lui. Akan s'élança à sa suite.
Les deux premières minutes de la traversée se déroulèrent sans encombres mais Ahuor faiblissait. Elle avait froid, était épuisée et éprouvait des difficultés à maintenir sa prise sur le druide. Au deux tiers du chemin, elle finit par lâcher, incapable de continuer. Akan la saisit d'un bras et s'efforça de rejoindre l'autre côté du tunnel le plus rapidement possible. Lorsqu'il y parvint, elle était inconsciente et ne respirait plus. Il canalisa une partie de son énergie dans ses mains et prononça le mot de pouvoir alors qu'il les posait sur sa poitrine. Une douce lumière bleutée envahit la caverne tandis que ses compagnons émergeait à ses côtés, les uns après les autres. Ahuor ouvrit finalement les yeux, agité de spasme et recrachant l'eau qui emplissait ses poumons.
« Merci, dit-elle lorsqu'elle eut finalement repris son souffle. Je ne pouvais plus tenir, je …
- Ce n'est rien, la rassura Akan. Vous avez fait de votre mieux et nous avons atteint l'autre côté. Dans peu de temps nous serons sur notre bateau et rejoindrons la Cité. C'est tout ce qui importe. »
Pater émit un petit sifflement aigüe.
« Oui oui, on va t'emmener là bas ! répondit Gurda. Tu me donnes un coup de main Akan ?
- Si tu veux. »
Le drakéide et la naine s'approchèrent du dauphin à la peau sombre et le saisirent. Il devait peser un peu plus de cent-cinquante kilos.
« Eh bah mon cochon, tu fais pas semblant pour un poisson ! » dit Gurda en contractant sa musculature. Pater répondit par un petit mouvement de queue qui faillit déséquilibrer la naine, provoquant l'hilarité générale.
« Mais tu vas arrêter de gigoter bon sang ! » s'ecria-t-elle en feignant la colère. Ahuor laissa échapper un léger éclat de rire et un sourire se dessina sur son joli visage fatigué.
Le petit groupe se sortit de la caverne et traversa la plage en direction de l'océan. Akan et Gurda ouvraient la marche, se déplaçant au pas de course malgré leur fardeau. Il l'avait à peine remis à l'eau lorsqu'un cri retentit derrière eux.
Trois hommes habillés de cuirs patrouillaient sur la plage et venaient de remarquer le groupe d'aventurier. Le plus grand des trois portait un cimeterre et une vilaine balafre le défigurait.
« C'est quoi ça ? Toi tu vas sonner l'alarme pendant qu'on s'occupe d'eux. Allez plus vite que ça ! aboya-t-il.
- Euh … oui chef. Tout de suite, répondit l'homme qui se tenait sur sa gauche. »
Il s'élança en direction des escaliers alors que le chef de la patrouille se ruait vers Gurda et Akan. Le dernier homme avait sorti une arbalète.
Aldéir réagit immédiatement. Le capitaine n'avait pas terminé son ordre qu'il avait déjà dégainé son arc et encoché une flèche. Il ferma les yeux et se concentra quelques instants. Lorsqu'il les rouvrit, il était prêt. Il visa l'homme qui courait en direction des escaliers et lâcha sa flèche. Celle-ci traversa l'air à toute vitesse. Alors qu'elle allait transpercer le bras du fuyard, elle prit soudainement un virage à quatre-vingt dix degrés et fila en direction du ciel. Elle explosa alors en une multitudes d'épines aussi épaisse que des pieux qui retombèrent sur le bandit, le transperçant en plusieurs endroits en lui arrachant un cri de souffrance. Une flèche, tirée par le drakéide, le réduisit au silence en lui transperçant la gorge.
Pendant ce temps, Ginger avait plongé sa main dans le sac à malices que lui avait offert Roula. Elle en sortit une petite sphère poilue qu'elle jeta en direction du chef de la patrouille. Lorsque celle-ci toucha le sable de la plage, elle se transforma en une petite belette au pelage brun qui s'élança vers le bandit, bien décidé à en découdre.
Gurda poussa un cri de guerre en dégainant sa hache et vint à la rencontre du capitaine de la patrouille. Elle porta un premier coup qu'il parvint à esquiver. L'homme ricana méchamment en sortant une dague. Alors qu'il armait son bras, la naine inversa la position de ses mains sur le manche de sa hache en moins d'une seconde. Elle fit basculer sa masse sur sa jambe droite, entraînant son arme avec elle dans un revers que le bandit n'avait pas prévu. La hache se planta avec force dans le cuir de son armure, lui arrachant un petit cri de douleur. Elle esquiva le coup de dague et frappa l'homme à nouveau, à deux reprises.
Akan et Aldéir avait quant à eux focalisé leur attention sur l'arbalétrier. Celui-ci avait tenté un tir sur Aldéir qui l'avait gracieusement esquivé avant de lui rendre la pareil, sans parvenir à le blesser. Akan se munit lui aussi de son arc long et décoche une flèche. L'arbalétrier se déplaça juste à temps. Il n'eut pas cette chance avec le second tir d'Aldéir qui lui transperça la jambe. Le rôdeur elfe l'acheva d'une flèche en pleine poitrine tandis qu'Akan s'élançait vers l'adversaire de Gurda qui venait de remarquer qu'une belette tentait de lui mordre la jambe, sans parvenir à traverser le cuir de ses crocs. Il tenta de s'en débarrasser mais à chacun de ses mouvements, celle-ci poussait de petits couinements combatifs et revenait à la charge avec plus d'ardeur.
Ginger encourageait la belette à plein poumon tandis qu'elle plongeait à nouveau sa main dans le sac à malice et jetait une nouvelle boule de poil sur la plage. Celle-ci prit la forme d'un élan blanc de presque deux mètres de haut. Celui-ci s'inclina devant Ginger avant de se diriger à son tour vers le bandit restant qui était à présent au prise avec Gurda et Akan.
Le drakéide avait dégainé ses deux armes et tentait de blesser son adversaire, sans parvenir à le toucher. Gurda en revanche lui asséna deux violents coups du plat de se hache. L'homme grogna de colère et toucha la naine avec son cimeterre. Il porta un second coup mais Gurda le para sans difficulté en riant à gorge déployée. L'homme en profita pour planter sa dague dans le bras de la naine. Celle-ci ne réagit pas, ignorant la douleur et continuant de frapper son adversaire, un grand sourire au lèvres.
L'élan géant mugit et donna un coup de tête qui aurait décapité le bandit si celui-ci, alerté par le cri de l'animal, ne s'était pas prestement baissé. Gurda ne laissa pas passer cette chance. Elle trancha le jambe de son adversaire dans un rugissement tandis qu'Akan lui transperçait le torse avec sa lame.
L'homme s'effondra sur le sable ensanglanté.
Les aventuriers se regroupèrent autour d'Ahuor qui était resté en arrière, prostrée dans le sable.
« Tout va bien Dame Neldyrcyll, la rassura Aldéir d'une voix douce. Il n'y a plus de danger. Pater est en route vers notre navire. »
Celle-ci ne répondit pas mais se redressa doucement.
« Nous devrions aller attendre du côté de la falaise, dit Ginger. On est pas à l'abri qu'une autre patrouille n'arrive.
- Tu as raison, répondit Aldéir. »
Tous se dirigèrent vers la paroi de la falaise, y compris les deux animaux conjurés par Ginger. La belette s'était installé sur le dos de l'élan et se tenait sur ses pattes arrières, comme une sorte de cavalier miniature.
Lorsqu'ils furent tous réuni, Akan brisa le silence :
« Que fait-on pour le démon aux yeux jaunes ? On ne peut pas le laisser ici.
- Nous sommes ici pour secourir Dame Neldyrcyll, répondit Aldéir laconique.
- Je sais bien mais nous ne pouvons pas le laisser ici. Il nous ai venu en aide à plusieurs reprises. Il est temps de lui rendre la pareil. Et puis il pourrait être un allié de choix dans la guerre qui s'annonce.
- Que proposes-tu ? demanda Aldéir.
- Il se trouve sur la plage sud. Il faut que l'un d'entre nous s'y rendent et le ramène ici.
- Ce n'est pas ce que j'appelle un plan. Il faudrait traverser le fort pour cela.
- J'ai peut-être une idée mais il faut que ce soit toi Aldéir, intervint Ginger.
- Je t'écoutes.
- Je peux te lancer un sort pour te rendre invisible. Mais il n'étouffera pas le bruit de tes pas. Comme tu es le plus discret d'entre nous, c'est toi qui a le plus de chance de réussir à traverser le fort sans te faire repérer.
- Je vois. Je suis d'accord pour essayer mais la priorité reste de secourir Dame Neldyrcyll. Nous sommes bien d'accord ?
- Oui, dit Akan en plongeant ses yeux reptiliens dans ceux de l'elfe.
- Bon et bah on fait ça alors ! dit Gurda. Et nous on attends sagement que le bateau arrive. Super programme. »
Ginger approcha de l'elfe et sortit de l'une de ses sacoche un petit cristal transparent. Elle commença à incanter à voix basse dans la langue arcanique. Son intonation rythmée donnait l'étrange impression qu'elle chantait tandis que le cristal luisait doucement sur sa paume. Elle plaqua sa main sur la poitrine d'Aldéir et le cristal s'aplatit sans un bruit. La plaque transparente s'allongea ensuite pour atteindre la taille de l'elfe puis se referma sur celui-ci, le faisant disparaître sous les yeux ébahis de ses compagnons. Seul l'empreinte de ses bottes dans le sable trahissait sa présence.
« Je reviens le plus vite possible, dit Aldéir.
- Bon courage, dit Akan alors que des empreintes de pas venaient maculer le sable tandis qu'Aldéir courrait vers l'escalier. »
***
L'escalier de pierre qui menait à la forteresse en ruine n'avait d'escalier que le nom : il s'agissait en réalité d'une succession de plateforme taillée à même la roche et usées par le temps. Aldéir commença son ascension et comprit rapidement qu'il ne pourrait continuer de courir. Les marches irrégulières et glissantes l'obligeait à progresser lentement. Après quelques minutes, il finit par atteindre une espèce d'esplanade.
Machinalement, il vérifia qu'il était toujours invisible. Plusieurs dizaines de personnes allaient et venaient sur la place. Presque tous étaient habillés des mêmes vêtements de cuir et la plupart portaient un cimeterre au côté. Aldéir identifia plus d'une dizaine d'homme arborant un petit brassard rouge à l'épaule droite, similaire à celui que portait le chef de la patrouille que lui et ses compagnons venaient d'affronter. Il ne pouvait qu'imaginer la quantité d'homme présent à l'intérieur du fort, sur sa gauche.
Devant lui, à une dizaine de mètres, se trouvait un petit escalier habillé de bois qui descendait vers la plage sud. Il passa ses yeux de lynx et observa avec attention la plage mais ne put repérer le démon aux yeux jaunes. Il remarqua cependant un éclat lumineux sur sa gauche, de l'autre côté de l'esplanade, à une quarantaine de mètres. Il s'agissait d'un large disque de bronze accroché à un grand mât et accroché à diverses poulies.
Trop risqué, pensa-t-il en réprimant sa colère, c'est avec ça que ces chiens font sombrer les navires d'Enialis.
Après avoir repris son calme, il entreprit de rejoindre le petit escalier. Il marchait doucement, ne faisant presqu'aucun bruit, et contournait les hommes et femmes qui se trouvaient sur son chemin. En moins de deux minutes, le rôdeur avait traversé et commençait à descendre le petit escalier, s'effaçant habilement devant les dockers qui montaient en direction du fort. Il commençait à comprendre pourquoi cet escalier était entretenu : il permettait d'accéder à un petit ponton où étaient amarrés deux bateaux très différents. Le premier était un imposant vaisseau aux voiles blanche et sans pavillon dont le bastingage était orné de tissus noir et rouge. Le second était une frêle embarcation qu'Aldéir identifia presqu'immédiatement comme originaire de la Cité des Trois Couronnes. Son regard se porta sur la partie la plus à droite de la plage où se trouvait plusieurs rochers battus par la mer. Les yeux de lynx permettaient à Aldéir de distinguer une dizaine de corps enchaînées sur la roche, le visage tourné contre le sable. Parmi eux, il repéra les cheveux de platine du démon aux yeux jaune. Le corps du demi-elfe se déplaçait au rythme de la marée. Aldéir pressa le pas.
La plage sud était presque recouverte de débris. Plusieurs dockers étaient occupés à fouiller les décombres pour récupérer les marchandise ayant encore de la valeur. Le rôdeur sentit une fois de plus la colère le submerger devant ce spectacle écœurant. Les dockers faisaient sombrer les navires marchands pour pouvoir piller quelques une des marchandises charriées par la marée. La majorité de ce qu'Aldéir voyait était tellement imbibé d'eau de mer que les dockers les laissait sur la plage. Il imaginait sans mal que les éventuels survivants des naufrages qui arrivait à rejoindre la plage terminait vendu ou abandonné sur les rochers.
Aldéir se hâta de rejoindre le demi-elfe, marchant dans les nombreuses empreintes laissés par les dockers afin de ne pas attirer l'attention.
Le démon aux yeux jaunes avaient les yeux clos mais sa poitrine se soulevait régulièrement. Un bâillon imbibé d'eau lui obstruait la bouche. Tous les autres prisonniers était mort, certain déjà recouvert de crustacés. Aldéir se baissa doucement et murmura à l'oreille du démon aux yeux jaunes :
« Je suis Aldéir, un ami. Ne bougez pas. »
Celui-ci ouvrit ses yeux immédiatement et ferma ses paupières en signe de compréhension. Le rôdeur lui retira le bâillon.
« Il me reste un peu de magie en moi, souffla le demi-elfe en réprimant une quinte de toux.
- D'abord je vous soigne avec un peu de baume. Nous aviserons ensuite. »
Aldéir appliqua un peu du baume de Keoghtom qui lui restait sur la gorge et la poitrine du demi-elfe qui put prendre un grande inspiration sans réprimer sa toux.
« Merci. Si tu me libères les mains, je pourrais me rendre invisible.
- Très bien. »
Aldéir examine les chaînes du démon aux yeux jaune et repéra rapidement le clou qui maintenait celles ci dans la roche. Il le fit sauter d'un coup de pommeau et la chaîne glissa dans l'eau. Le demi-elfe se massa un instant les poignets avant de prendre un peu d'eau dans sa main en coupe. Il prononça un formule aux accents gutturaux avant de projeter l'eau dans sa direction. Lorsque celle-ci entra en contact avec sa peau, il commença à disparaître. Après quelques instants, il ne restait plus que ses deux pupilles dorés et brillantes dans l'air. Il ferma les yeux et elles disparurent à leur tour tandis que le rôdeur sentit une main délicate se poser sur son bras gauche. Il pouvait sentir le demi-elfe s'appuyer lourdement sur lui pour tenir debout.
« J'ai avec moi une potion de vitesse, dit Aldéir doucement.
- J'apprécie ton offre mais ça devrait aller. Aides moi juste à marcher s'il te plait.
- Comme vous le souhaitez …
- Sjendael, répondit le démon aux yeux jaune. »
Ils avançaient doucement mais Sjendael tenait bon. Lorsqu'ils atteignirent le ponton, celui-ci fit mine de rejoindre la petite embarcation.
« Que faîtes-vous ? demanda Aldéir
- Je vais vers mon bateau. C'est pas ça le plan ?
- On a notre propre navire qui nous attend sur la plage nord.
- Ah, d'accord. Guide moi alors. »
Les deux compagnons s'engagèrent sur l'escalier menant au fort. Ils parvinrent à atteindre l'esplanade sans encombre, malgré les nombreuses patrouilles qu'il leur fallut éviter pendant l'ascension. La place était en effervescence.
« La prisonnière est plus là ! hurlait un des dockers. Fouillez-moi les plages ! Nord et Sud. On est sur une foutue île, elle a pas pu aller bien loin ! Et grouillez-vous bandes d'incapables. »
Le rôdeur et le démon avançait avec prudence.
« La plage nord c'est par là ? demanda Sjendael en indiquant la bonne direction.
- Oui, répondit Aldéir sans cesser d'avancer.
- Toi et tes potes vous êtes occupés du disque ?
- Non, nous n'en avons pas eu l'occasion.
- Je vois. Ça risque d'être compliqué de rejoindre ton bateau. Passes moi la potion, je vais faire diversion.
- Hors de question, répondit le rôdeur doucement mais sur un ton catégorique. Je suis venu pour vous ramener, pas pour que vous vous sacrifiez.
- Comme tu veux. Il me reste un sort mais c'est du lourd. Je m'en servirai en cas de besoin.
- Faites comme vous voulez du moment qu'on arrive tous à repartir d'ici. »
Ils entamèrent la descente vers la plage nord.
***
Lorsqu'ils furent sur la plage, Sjendael demanda :
« C'est tes amis ça ?
- Oui, répondit Aldéir. »
Leur navire s'approchait des côtes tandis qu'un élan géant galopait en direction de la mer, Ginger et Ahuor sur son dos. Des cris ne tardèrent pas à se faire entendre alors que les patrouilles réalisait ce qui se passait.
« Fermes la bouche et ne l'ouvre sous aucun prétexte.
- Très bien, répondit Aldéir »
Le demi-elfe sortit quelques feuilles d'une de ses bourses et les jeta en l'air avant de souffler dans leur direction. Il prononça quelques mots dans son étrange dialecte magique et ses yeux réapparurent, bientôt suivis par le reste de son corps. Ses pupilles dorées brillait avec force tandis que les feuilles se dissipait en un épais brouillard verdâtre.
Lorsque ses yeux retrouvèrent leur aspect normal, il s'effondra et fut rattrapé de justesse par Aldéir, toujours invisible. Le rôdeur s'élança en direction du navire et ne tarda pas à repérer Akan et Ginger qui l'imitaient à quelques mètres sur sa droite.
Des hurlements de douleurs s'élevaient derrière eux en provenance des dockers frappé par le nuage de Sjendael. Le fort tout entier était maintenant en alerte et c'est plusieurs dizaines de dockers qui s'élançaient dans l'escalier menant à la plage sud.
Tous les héros parvinrent à monter à bord du navire qui s'empressa de manœuvrer pour repartir, toute voile dehors.
L'élan géant, sur lequel se dressait fièrement la belette invoquée par Ginger, chargea avec force les quelques dockers qui était parvenu à s'approcher du navire. Une volée de carreaux se ficha dans le bastingage tandis que le voilier s'éloignait de l'Île des Dockers, Ahuor, Sjendael et les cinq compagnons à son bord.